L’envie de voyage
Grands voyageurs dans l’âme, après avoir effectué un tour de l’Atlantique à la voile sur 1 an en couple, nous avions la ferme intention de monter un autre projet de voyage. Nous n’avions pas de dates précises, dans 10 ans, 20 ans ou même à la retraite. Partager un projet de voyage comme celui-ci avec nos enfants pouvait être également une possibilité et un enrichissement important pour une famille. L’envie de repartir était vive et battait au rythme de notre cœur.
Cette liberté indescriptible, cette vie en lien avec la nature, les découvertes de notre terre, de ses richesses et de ses faiblesses, les rencontres et les cultures si différentes. Vivre plus humblement, plus simplement, prendre davantage conscience que le matériel n’est que confort supplémentaire et qu’intérieurement n’apporte pas de vrai richesse mais seulement du réconfort et de la sécurité. Vous le comprenez, le voyage pour nous est une vraie richesse qui nous permet de nous dépasser physiquement et psychiquement.
La société dans laquelle nous vivons actuellement ne nous convient pas, mais il est très difficile de vivre en marge de cette société. Nous sommes happés, engloutis par celle-ci et nous essayons tant bien que mal de nager à sa surface. Après notre voyage d’une année, nous avons pourtant essayé d’y faire face, mais cela a été dur. Nous avons acheté une maison, une voiture, les dernières technologies, certains dirons que ce n’était pas excessif, mais pour nous c’en était déjà trop !
Patrice et moi nous sommes vite rendus compte que l’appel de la mer, du voyage, de la découverte et de l’introspection était de retour, ou plutôt ne nous avait jamais quitté. Nous n’avions nullement assouvi notre soif de voyager, mais plutôt confirmé ce besoin de vivre différemment, de monter des projets de voyage. Tiraillés entre cette envie de partir et la vie professionnelle de Patrice, il était dur de faire un choix. Patrice, très investi dans son travail, ressentait encore le besoin d’évoluer dans ce milieu.
Nous avons donc décidé d’attendre pour mettre ce deuxième projet en route. Entre-temps, la famille s’est agrandie avec notre fils né en 2013 et notre fille née en 2015.
Une vague dévastatrice
Notre vie a pris un chemin complètement inattendu ! Après de grosses difficultés rencontrées avec l’un de nos enfants dès ses 18 mois, celui-ci a été diagnostiqué autiste à l’âge de 4 ans. Vous aurez plus d’informations à la page Notre expérience. Le diagnostic a été un chamboulement énorme dans notre famille, notre couple et notre entourage.
Nous nous sommes dit que notre projet de voyage ne sera jamais réalisable et que nous devions nous rendre à l’évidence d’en faire le deuil. Pour de multiples raisons que ce soient pour le suivi thérapeutique, pour la vie à bord, pour le manque de sociabilité lors des voyages en voilier, de la pression de la société et bien d’autres raisons. Nous avions peur de ne pas lui offrir ce dont il avait besoin pour évoluer positivement et être bien dans son corps. Nous avions mis un super suivi en place, des thérapeutes extraordinaires que nous ne pourrions jamais assez remercier, une école ouverte et aidante pour les enfants à besoins spécifiques. La vie n’était vraiment pas toute rose, plutôt bleue, couleur de l’autisme, mais les choses évoluaient positivement. Nous n’avions pas envie de lui enlever cela.
Ce diagnostic a mis a rude épreuve notre « bateau », notre équipage. Les voiles étaient déchirées, le mât ne tenait que par des haubans (câble qui tient le mât) abîmés par la tempête. Nous tenions la barre, le cap comme nous le pouvions et la fatigue nous faisait avoir des hallucinations terriblement effrayantes. Notre galère était une vraie galère ! Le skipper et la co-skipper avaient de la peine à surmonter cette vague dévastatrice venue de nulle part. Leur lien qui était si fort ne tenait qu’à quelques fils. Comment réparer tout cela ? Allions-nous l’accepter ? Comment vivre ? Quels moyens pour en ressortir grandi ?
Avec du recul, certes le quotidien n’était pas facile, mais nous nous sommes rendus compte que notre enfant nous faisait voyager autrement, à sa manière. Il nous montre sa différence, sa façon de voir les choses, ses pensées si incroyables. Il nous a permis de prendre encore davantage conscience de la vie, de ses valeurs, de la différence et du regard de la société envers le handicap/la différence, du manque de tolérance et du manque d’inclusion.
Nous parlons de vague dévastatrice, mais l’est-elle vraiment ? La société nous fait croire que oui. Le mot autisme fait écho dans la tête des personnes, le mot fait peur. Il fait référence à des personnes qui sont hors de la norme sociale. Si nous enlevons le mot « norme » de la société, il n’y aurai plus autant d’écart, de discrimination et de rejet. C’est une vague dévastatrice pour nous, car la société nous a formatés à avoir un enfant « normal », depuis tout petit nous sommes forcés de suivre le chemin du commun des mortels. Elle nous met la pression car si votre enfant n’est pas dans cette norme, il sera exclu et les conséquences qui s’en suivent catastrophiques.
L’autisme est un fonctionnement cérébral différent, d’où la pensée atypique, alors profitons-en pour mettre nos différences en commun. Dès son plus jeune âge, notre enfant nous offre un voyage dans le grand bleu. Il nous permet d’être sans cesse en introspection et, pour ma part, de chercher et d’avoir trouvé enfin qui je suis et d’accepter mes différences à moi. MERCI à toi pour cela.
La vie est faite d’une multitude de labyrinthes. Après un labyrinthe de plus de 18 mois, nous pensons avoir trouvé la sortie, du moins de celui-ci. Notre couple était triste, vide, les racines de celui-ci sont le voyage, la découverte, les projets communs en lien avec nos passions. Nous ne pouvions plus rester comme cela, sinon notre couple coulerait à jamais.
Il nous fallait agir. Chercher un bien-être pour notre famille, pour Patrice et pour moi. Il fallait prendre le large. Prendre du recul sur nous, pour mieux comprendre notre enfant et accepter qui nous sommes. Être présents pour nos enfants et nous construire avec nos différences plus marquées. Nous avons cherché d’autres projets de voyage, mais aucun ne battait au rythme de notre cœur. Nous avons donc décidé de repartir sur notre projet de voyage en voilier. Est-il préférable de rester ici, d’être triste, de sentir sa vie vous filer entre vos mains et d’imploser ? Ou de partir, être heureux, serein, amoureux de cette vie et que vos enfants vous voient épanouis ? Nous avons opté pour la deuxième possibilité !
Le voyage
Avec beaucoup d’entrain, nous avons lancé notre projet de voyage. Les premières bouffées d’air se sont fait sentir, cela fait du bien de ressortir un peu la tête de l’eau !
Ce projet de voyage n’allait pas être comme dans notre imagination, il nous fallait prendre en compte notre différence, au final si enrichissante, mais malgré tout atypique. Nous voulions éviter le moindre stress, car celui-ci est nuisible pour notre famille et également dans nos rapports avec nos enfants. Pour cela, nous avons décidé de partir pour une durée indéterminée. Nous ne savions pas si ce mode de vie conviendrait à nos enfants. Si nous arriverions à gérer la scolarisation. Un climat familial positif ainsi que le bien-être de chacun étaient la priorité. Si le voyage ne devait durer que 6 mois, c’est qu’il devait en être ainsi. Le principal c’est d’avoir osé le rêve! De ne pas entreprendre ce voyage ferait qu’une partie de nous serait toujours dans l’interrogation de savoir si ça aurait fonctionné, le regret et peut-être le démantèlement de notre famille.
Notre départ est prévu pour juillet 2020 (nb : la date de départ et le trajet ont été modifiés suite au Covid-19, voir l’article en lien) cap sur les Antilles ! Pour une adaptation optimale pour les enfants, nous débuterons par les côtes espagnoles, passerons Gibraltar, peut-être que nous nous arrêterons au Maroc puis nous voguerons sur les Îles Canaries, le Cap Vert, la Casamance et traverserons l’Atlantique lorsque les Alizés (vents qui nous poussent en direction les Antilles) seront établis. Nous prendrons le temps de nous amariner et nous adapterons nos navigations en fonction de la tolérance de nos enfants.
Le but de ce voyage est que chacun se l’approprie et se sente bien dans ce que nous allons entreprendre. Il sera modulé en fonction des envies de chacun. Nous souhaitons respecter autant que possible les souhaits et besoins des enfants. Nous savons déjà que notre fils a très envie de voir des animaux des pays d’Afrique. Notre fille est encore jeune et ses envies restent discrètes. Ce voyage nous permettra de nous rapprocher d’elle, de connaître ses besoins. Elle apprendra également à le faire et nous pourrons mieux nous adapter à elle.
Nous naviguerons pour la différence, pour ouvrir le monde à cela, pour que l’être humain soit plus avenant et inclusif. La neurodiversité est la beauté, la richesse et la force de notre monde.